Une approche comparée des principes de proportionnalité et de subsidiarité dans la jurisprudence de la CJUE et du TJCA: la coordination-harmonisation des pluralismes juridiques régionaux à l'épreuve de l'internationalisation du droit de l'intégration - Núm. 15-2, Diciembre 2013 - Estudios Socio-Jurídicos - Libros y Revistas - VLEX 492667866

Une approche comparée des principes de proportionnalité et de subsidiarité dans la jurisprudence de la CJUE et du TJCA: la coordination-harmonisation des pluralismes juridiques régionaux à l'épreuve de l'internationalisation du droit de l'intégration

AutorGrenfieth De J. Sierra Cadena
CargoAbogado de la Universidad del Rosario
Páginas127-158

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Introduction

Etymologiquement, la coordination se définit comme «l’agencement des parties d’un tout selon un plan logique, pour une fin déterminée»1 mais cette acception commune peut faire l’objet d’approches diverses: administrative, politique ou juridique. Dans le droit communautaire, la coordination peut être conçue comme un mécanisme excluant toute logique juridique hiérarchique qui tend à organiser l’interaction de processus juridiques horizontaux par le jeu de références croisées résultant d’un dialogue entre juridictions nationales et communautaires. Sa définition juridique reste cependant encore obscure comme le rappelle Virginie Lanceron: «les mentions de la coordination dans les textes juridiques sont nombreuses et diverses; qualitativement en revanche, le bilan est plus contrasté: aucune définition juridique n’en est explicitement donnée et la coordination n’occupe généralement qu’une place secondaire».2L’harmonisation quant à elle désigne l’ «action d’établir des proportions heureuses entre plusieurs choses, de les mettre en accord, de les harmoniser».3 D’après son sens musical originel, l’harmonisation désigne le fait d’ajouter un accompagnement à une mélodie; elle est l’action de travailler artistiquement un élément. Si l’on s’inspire de cette définition, l’harmonisation juridique peut être étendue comme l’action d’établir des accords entre ordres juridiques différents, de façon esthétique et cohérente. Précisément, en droit communautaire, l’harmonisation consiste à rapprocher les ordres juridiques nationaux pour former un ensemble juridique commun.4 Aussi peut-on distinguer la coordination juridique qui en appelle à la technique et l’harmonisation juridique qui relève de l’esthétique. Ces principes peuvent ainsi être lus comme des vertus juridiques.5

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Face cette complexité6 du droit de l’intégration régionale caractérisée par une lacune de définitions et une internationalisation pluraliste croissante, la seule idée de coordination-harmonisation du pluriel appelle la construction de ‘macro-principes’7 pour penser l’universalité juridique marquée par la dialectique diversité-unité propre au modèle juridique supranational. Sur ce point, un constat liminaire s’impose: on ne peut aujourd’hui définir précisément les frontières d’un droit communautaire internationalisé qui restent floues et ouvertes.8 Il convient dès lors de prendre comme point de départ une étude du noyau de cette internationalisation à travers la comparaison de principes à vocation universelle9 («macro principes»): la proportionnalité et la subsidiarité qui seront définies ultérieurement.

Celles-ci ont été interprétées par les juges communautaires dans le sens d’une unité associée à une interaction dynamique entre le droit régional et le droit national. Une lecture finaliste de ces principes privilégie la société transnationale sur les sociétés nationales, l’ordonnancement des pluralismes nationaux vers une unité juridique communautaire. D’après Mireille Delmas-Marty, cette harmonisation10 communautaire répond à la nécessite de surmonter le défi et satisfaire le besoin d’internationalisation du droit.11

Dans son ouvrage intitulé Le pluralisme ordonné, elle distingue plusieurs processus d’interaction qui contribuent à ordonner le pluriel juridique: coordination par entrecroisement, harmonisation par rapprochement et unification par hybridation.12Mais quelle est la pertinence d’une comparaison de deux systèmes juridiques aussi asymétriques dans leur forme juridique comme dans leur

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évolution juridique et degré d’intégration? Pourquoi une telle comparaison de la coordination-harmonisation des droits de l’intégration régionale doit-elle privilégier les principes de proportionnalité et de subsidiarité? Et pourquoi analyser le principe de subsidiarité apparemment absent de la jurisprudence du TJCA?

Trois raisons expliquent un tel choix. La première est que si la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) et le Tribunal de Justice de la Communauté Andine (TJCA) ont des origines culturelles et des dimensions juridiques différentes, les deux juridictions partagent toutefois la vocation commune de bâtir des espaces juridiques régionaux inscrits dans une réalité mondialisée. On peut dès lors considérer que «les prémisses de cette fabrique du droit se trouvent dans l’émergence d’une culture juridique commune. En ce sens le dialogue de juges est indépendant de toute relation hiérarchique».13 L’enjeu d’un tel exposé sera de réussir à discerner les similitudes, révéler les différences, éclairer les interfaces juridiques et les migrations doctrinales entre des espaces marqués par des réalités régionales internationalisées à partir de la régulation du marché.

La deuxième raison est que l’harmonisation-coordination juridique peut être le résultat soit de l’Etat qui formellement introduit dans son système juridique des règles de droit déjà harmonisées (exemple de l’Unidroit en droit privé);14 soit de la confrontation entre normes juridiques de provenances diverses (exemple de la dialectique directives communautaires vs identité constitutionnelle). Dans ce dernier cas, le principe de proportionnalité ne cherche pas à sacrifier une règle juridique pour une autre mais tend au contraire à concilier ce qui paraît inconciliable, sans délester de sa valeur ou de sa force une règle ou un principe qu’il soit national ou communautaire. Ce principe reconnait l’horizontalité des normes, l’existence d’une «hiérarchie normative mobile» que les juges ne dessinent cependant que lorsque des circonstances très précises sont réunies et selon des critères déterminés à

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l’avance par eux.15 Il s’agit de préserver l’ordre et la sécurité juridiques du système communautaire.

La troisième raison qui justifie une telle préférence pour les principes de proportionnalité et de subsidiarité réside dans leur aptitude à souligner les rapports qui existent entre les citoyens et les acteurs économiques ainsi que les techniques d’individualisation vis-à-vis des pouvoirs transnationaux; tout en mettant en lumière les dimensions transversales de la communauté en tant que structure administrative et politique transnationale. L’étude de la coordination des décisions et des compétences - et surtout l’harmonisation juridique entre ordre national et ordre communautaire - à partir des principes de proportionnalité et de subsidiarité devient déterminante pour analyser l’existence et le fonctionnement d’organes juridiques à l’échelle transnationale. Ces notions sont les moteurs de la coordination d’un droit communautaire internationalisé agissant tel un catalyseur qui favorise, de manière informelle, l’échange entre droits au niveau communautairerégional. Elles privilégient une dynamique d’organisation qui est le support institutionnel et normatif de ces espaces régionaux d’intégration16 que sont l’Union européenne et la Communauté andine. En conséquence, si l’on veut analyser la coordination-harmonisation du droit communautaire andin à la lumière de l’internationalisation du droit de l’intégration, la mise en exergue de l’émergence de la subsidiarité à travers l’office du TJCA est essentielle.

Ainsi, proportionnalité et subsidiarité peuvent faire l’objet d’une analyse privilégiant une approche comparée de la CJUE et du TJCA à l’épreuve de l’internationalisation du droit de l’intégration régionale. La première peut s’entendre comme un instrument d’harmonisation de droits communautaires; la seconde en tant qu’outil de coordination de compétences communautaires.

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1. La proportionnalité: l’harmonisation des droits

S’agissant tout d’abord du principe de proportionnalité considéré d’un point de vue international et comparé, une analyse distinguant trois temps est nécessaire pour comprendre sa logique: l’adéquation de la décision, la nécessité de la décision et la rationalité de la décision.17 Ces trois étapes, retenues pour penser la plupart des systèmes juridiques,18 permettent de déterminer si des décisions ont un caractère particulier ou une vocation universelle. La question de la rationalité de la décision peut prêter à critique en raison de son caractère subjectif: ce sont les juges qui l’évaluent et participent à la construction de la légitimité de la décision autant que de leur action. L’approche de la subsidiarité, qui repose notamment sur un principe d’efficacité, semble plus objective.

A notre sens, la rationalité dans la proportionnalité est la matérialisation du «savoir stratégique»19 des juges qui désigne non seulement une connaissance de la loi, mais également des mécanismes, des instruments et des «dispositifs des pouvoirs» communautaires qui permettent d’agir dans le cadre communautaire. Le juge cherche à conceptualiser le problème de l’unité et de la pluralité du pouvoir communautaire à partir du principe de proportionnalité.20

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